« Ma plus grande fierté est d’avoir persévéré, de voir que les gens ont cru que c’était possible pour nous de gérer notre éducation; de croire que nous étions capables, par nous-mêmes, les Autochtones, d’avoir de quoi de beau et que nos enfants soient avec nous. C’est un peu comme ça que j’agis avec moi-même dans ma création : je permets à ce dont je suis capable de surgir. Je laisse aller mon imagination et calmement, je médite. Je me pose la question : ‘Comment est-ce que je pourrais m’y prendre?’ Les réponses viennent d’elles-mêmes, car c’est dans le calme que je suis capable de faire de belles choses. »
Si les bijoux, capteurs de rêves, mitaines et mocassins de Molly voyagent partout, dans les Pow wow et autres évènements, c’est que le reste de son travail est généralement vendu avant même d’être achevé. L’artisane confectionne ses mitaines et mocassins à la main, mais leurs coutures impeccables pourraient aisément être confondues avec le travail d’une machine à coudre. On peut reconnaître ses pièces aux broderies d’une grande finesse qu’ils arborent et dont la durabilité n’a pas d’égal. Molly confectionne également des régalias pour hommes et femmes et ses œuvres ont déjà reçu des prix.
Molly retire une grande fierté de la qualité de son travail d’artisanat, mais ce qui lui apporte la plus grande satisfaction, c’est de redonner vie à des matériaux : entre ses mains, des bracelets achetés à la fripe donnent corps à des capteurs de rêves; un manteau démodé se transforment en mitaines qui réchauffent les mains de toute la famille; les os d’un poisson partagé à sa table deviennent bijoux. Pour elle, le choix du matériel donne beaucoup de valeur à l’objet et la récolte est donc au cœur de sa démarche de création.
« Certains objets ont une beauté en eux. Fais-en un chef-d’œuvre! Moi, c’est ce que je fais. Je redonne vie à ces objets-là pour qu’ils deviennent de nouvelles œuvres d’art. C’est cela qu’on appelle la transformation. »
Un.e artisan.e, pour Molly, c’est une personne qui sait allier une vision à un ensemble d’aptitudes manuelles. Son inspiration lui provient de la nature, mais aussi de ces éléments qui apparaissent sur son chemin et qui « lui parlent ». Comme ses ancêtres, elle n’hésite pas à innover pour revaloriser ces matériaux précieux et priorise l’expérimentation. Molly est forte d’un large éventail de techniques, anciennes et modernes. En plus de l’expérience acquise auprès de sa mère et des autres artisans de sa communauté, elle a suivi une formation de quatre ans en coupe et confection haute couture à Amos.
« J’ai appris en regardant. J’étais une personne très, très curieuse. J’étais avide de savoir. C’est en observant les artisanes que j’en suis venue à savoir comment, moi, j’allais m’y prendre pour mes créations. Le perfectionnement que je suis allée chercher avec le cours de coupe et confection est venu aiguiser le don que j’avais. »
L’artisanat, selon elle, c’est une manière de s’enseigner le droit à l’erreur : un artisan cherche calmement, par lui-même, des solutions aux impasses et cette aptitude est transférable à l’ensemble des sphères de la vie. Il s’agit, explique-t-elle, de l’une des plus importantes leçons de la philosophie autochtone : l’éducation doit se faire dans la douceur et le renforcement positif, jamais dans le dénigrement.
« Je sais que toute personne fait des expériences, bonnes et mauvaises, mais si tu veux cultiver l’enfant qui est devant toi, ne lui dis pas des choses négatives. Fais-lui voir comment il aurait pu éviter ça. Il faut plutôt l’aider dans son cheminement que de lui faire subir des punitions, sinon tu vas l’écraser, le blesser, le marquer pour la vie. »
Après avoir elle-même vécu des expériences difficiles durant ses sept années de scolarité au pensionnat autochtone, Molly a choisi de dédier sa vie à l’établissement d’une école dans sa communauté afin que les enfants de Pikogan n’aient pas à vivre ce qu’elle avait traversé. « On ne se sentait pas valorisés, raconte-t-elle. La scolarisation se faisait dans la constante insécurité du jeune enfant. » En sortant de ses études en enseignement à Sherbrooke, l’accomplissement d’un rêve d’enfance, elle était résolue à changer les choses. Elle téléphona au curé de sa communauté et lui demanda la permission d’établir une classe de prématernelle dans le sous-sol de l’église de Pikogan. Elle écrivit ensuite à la commission scolaire et obtint son autorisation. Pikogan vit naître sa première classe en 1968 suite à cette initiative. Elle enseigna pour la commission scolaire jusqu’en 1980. Le Chef de Pikogan et elles firent alors équipe avec l’Université du Québec à Chicoutimi pour concevoir un programme de formation spécialement pour les éducateurs autochtones. Cette année-là, Molly supervisa la première cohorte du programme de formation des Maîtres autochtones et l’école Migwan devint indépendante de la commission scolaire. L’école, qui comptait alors la maternelle et la prématernelle, ouvrit une classe de première l’année suivante. À chaque année s’ajouta une nouvelle classe du primaire. En 1987, l’école s’installa dans un nouvel établissement, conçu pour accueillir tous les niveaux du primaire.
Molly prit sa retraite du milieu éducatif en 2014 pour se dédier entièrement à son travail d’artisanat après avoir œuvré pendant 37 ans à l’école Migwan de Pikogan. Elle visite encore régulièrement les classes comme personne-ressource et pour raconter des contes et des légendes. Elle se plaît dans son rôle de Kokoum Molly, car elle est persuadée que les histoires sont un moyen privilégié d’atteindre les gens, de stimuler leur créativité et d’inscrire dans leur cœur des leçons de vie indélébiles.
« C’est ça qui fait ma fierté : d’avoir accompli quelque chose pour ma communauté. Je ne me tire pas le chapeau à moi. Je tire révérence à ceux qui y ont cru. »
Son implication dans le milieu de l’éducation et sa pratique artistique partagent un même souhait d’auto-détermination, un même message de courage et de confiance en soi qu’elle a à cœur de transmettre à sa communauté et à l’ensemble des peuples autochtones : « Tu as de quoi de beau à faire émerger, partage-le avec les autres! Il faut croire en ses possibilités, croire qu’on peut faire de belles choses, aussi minimes soient-elles, même si c’est un tout petit mini-mocassin… pointure 000! »
Pour passer une commande, contactez Molly au 819-727-1241.
Photos: Marie-Raphaëlle LeBlond